Le climat de l'écriture


Les parents face à récriture des enfants

Plus souvent déconcertés que persuades d'y trouver matière à réflexion, les parents regardent l'écriture de l'enfant avec des hochements de tête. Un type de jugement incomplet accompagne le regard jeté sur le cahier ou la lettre.

L'idée court d'ailleurs que toutes les écritures d'enfant se ressemblent, le risque est d'y perdre son latin à y regarder de trop près. Ainsi les remarques se limitent surtout à la propreté de la page, au respect des marges, à la lisibilité du texte, et l'appréciation se dit en termes tranchés de belle écriture ou de torchon.

Un regard hâtif et peu familiarisé explique la brièveté du commentaire et la frustration qui en résulte chez l'enfant. Jamais il ne sera assez dit combien il met d'efforts et de cœur dans le fait d'écrire, combien il prend les remarques avec intensité, combien il faut ménager sa sensibilité et son amour-propre.

La communication qu'il tente se dit à travers ses formes à lui, sa façon d'appuyer sur son stylo, celle d'écarter ses mots, il convient de ne pas l'oublier...

S'il refuse de bien écrire, s'il transgresse les règles calligraphiques, il a ses raisons qu'il faut chercher avec lui, mais cela n'exclut pas le fait d'une paresse tempéramentale, d'un manque de sérieux dans certains cas.

Comment regarder l'écriture de votre enfant ?

Le rappel des étapes de l'écriture qui croît chez l'enfant comme la plante, vous permet maintenant de ne pas vous affoler du chaos de ses premiers écrits, du manque de vie de son style à dix ans, et pourtant votre curiosité n'est pas rassasiée.

Avant de tenter une explication qui peut être hasardeuse, une première démarche visuelle consiste à s'imprégner du climat que reflète l'écriture. A l'aide d'un premier regard « neuf», tel un regard de peintre ou de photographe, qui cligne des yeux, voit l'ensemble avant les détails, vous saisirez l'important.

Sautent aux yeux cette page blanche, habitée de part en part de mots isolés les uns des autres, ou bien ce tracé frêle et tremblé, fébrile, ou encore le monumental des lettres de Jean, et s'en déduisent tout naturellement le retrait, la sensibilité maladroite, la fanfaronnade.

Pensez peut-être météorologie, avec ces termes de beau fixe, de ciel plombé et lourd, de chaud, de froid, d'averses monotones, et ne vous étonnez pas que, comme en Ile-de-France, ce ciel change et que le baromètre soit à consulter souvent.

Les impressions reçues, dégagées, vont aller soit dans le sens de ce que vous connaissez de l'enfant : bagarreur, timoré, désinvolte et distrait, soit elles vous apporteront des données qui ne

s'harmonisent guère avec ce que vous en savez.

S'amorceront alors des questions : sous la sagesse, que se passe-t-il, l'agitation provient de quoi ?

Et d'avancer quelques suppositions qu'il ne s'agit pas de dramatiser sur-le-champ : une naissance, un départ et l'écriture fléchit, le maître le remarque, les résultats scolaires s'en ressentent, le cercle se referme si l'enfant ne s'exprime pas sur ce qui l'a provisoire¬ment remué.

L'écriture est peut-être aussi moyen de communication orale...

Beau et chaud


Temps stable, un peu lourd, absence de vent et de nuages, une belle chaleur d'été, des températures de saison, celle de l'été en Ile-de-France peut-être, ainsi s'énonce le bulletin.
Alice regarde le ciel, elle ne prendra ni chandail ni parapluie, le baromètre est au beau fixe, il prédispose à la promenade.
Alice, dans l'année de ses dix ans, est en CM.2, ne donne guère de souci, enfant stable, affectueuse, attachante par sa ferveur et la solidité de ses petites idées (trait de l'écriture bien encré, forme bien f
aite, liaison entre les lettres présente et constante).

Elle rêve déjà d'un métier qui la distinguera, mais ne reniera pas son rôle de femme et de maman.

Le classicisme de son écriture ne rend pas compte de son originalité vive

Froid et stalagmite

Un froid piquant, dans un paysage gelé et blanc, une bise glaciale dans une lumière claire, les silhouettes des arbres d'hiver s'ornent de stalagmites fines et anguleuses, un baromètre au-dessous de zéro, le compte rendu météo n'incite pas à la flânerie, même sous un ciel étoile de Noël.

Il faut s'emmitoufler face à la bise mordante qui raidit la nuque et s'infiltre partout...

Antoinette en C.E.1 s'applique beaucoup et obtient déjà une écriture très précise ; ciselée pourrait convenir comme qualificatif.
Au prix d'une contraction et d'une volonté qui l'obligent à se ramasser sur elle (écriture anguleuse rai¬die, « gelée »), à réprimer son hypersensibilité, elle a décidé dans son for intérieur de faire honneur à sa famille, à ses parents, à sa maîtresse. Tout se mobilise chez elle dans ce sens

Ciel clair lumineux

Ciel clair et lumineux dans des tons pâles, la brise légère gonfle quelques nuages qui courent, il fait bon respirer et vivre ce matin et, qui sait, prendre le vent... en ballon, et découvrir l'atmosphère comme les oiseaux...
Antoine, neuf ans et demi, traverse son C.M.1 en enfant joyeux, bien adapté. Il rend l'affection reçue dans d'excellents résultats scolaires que son écriture posée, bien formée et claire laisse augurer, attend des félicitations pour des performances liées à beaucoup de facilités certes, mais d'efforts bien placés aussi.
Sa gaieté et son amour de la vie ne reflètent-ils pas le temps clair de sa météo ?

Orageux, éclair, tonnerre

Temps menaçant, instable, risques d'orages subits dans ce ciel chargé et sombre, traversé d'éclairs.

Le tonnerre roule, les averses éclatent, il ne fait pas bon s'aventurer dehors. Rémi, dix ans, manifestement mécontent, traduit ses déceptions dans un comportement difficile, la brusquerie de ses colères comme la lourdeur de ses mutismes gâchent l'atmosphère de la maison, qui se ressent de ses explosions comme de ses oppositions.

Ici, le travail scolaire en pâtit, l'anxiété est à l'origine d'une lenteur qui exacerbe la mauvaise humeur du maître et de l'élève, enferme Rémi dans le cercle du mécontentement, de la dévalorisation, de la bouderie.
Une rivalité fraternelle coiffe le tout, couronne les difficultés. Rémi est en rééducation.

Gros nuages

Au gré du vent qui souffle fort, s'enflent les cerfs-volants et courent les gros nuages ventrus poussés vent arrière ; sur un fond de ciel bleu mouvant rayé de blanc, ils glissent vers l'horizon, s'éloignent, après avoir longtemps accompagné la mer...

Ventru comme les nuages, ce graphisme qui se pousse en avant, mange la page et s'y étale d'un geste large, courbe mais curieusement retenu à gauche aussi (le haut des barres de t et de d).

S'il travaille vite et sans difficulté, Matthieu fait du tapage dans la famille pour susciter l'attention (écriture grande, gonflée, étalée), du chantage auprès de maman, gesticule et parle fort, fait des caprices et des colères.

Sa demande d'affection, le degré d'émotion, expliquent que Matthieu déborde dans ses manifestations familiales.

Bourrasques et éclaircies

Temps de printemps, incertain et changeant.

Giboulées et éclaircies fugitives, coups de vent en bourrasque, agitent le ciel et font courir les nuages, gare aux parapluies qui se retournent.

La patience et le calme, Jean ne connaît guère, et se tenir tranquille en classe relève de la prouesse.

Hypersensible et agité, il domine mal son impulsivité, s'il amuse un temps des camarades éberlués de tant d'imagination, il lasse les professeurs et n'obtient pas les résultats que son excellent Q.I. pourrait laisser espérer...

Il attire l'attention par ce tapage... la jalousie portée à sa sœur en donne peut-être l'explication.

Pluie fine

Rideau de pluie, petite pluie abat grand vent, doux bruit de la pluie. Le temps est à la pluie pour la journée, elle raye le ciel gris, tombe en rideau, avec un doux bruit qui endort...

Le bon élève sage couvre ses pages de ce dessin minutieux, monotone, bien formé, mais de légers tremblements se détectent...

Enfant fin, sensible et obéissant, Dominique accepte la discipline ou plutôt plie sous elle, et se plie aux ordres du maître, il s'applique, ne marque aucun désaccord face aux exigences.

Pourquoi ?
D'une part sa sensibilité s'accommode mal des conflits, d'une autre, il tire des gratifications de sa sagesse avec des notes de conduite mirobolantes. Mais la tristesse émane de l'écriture.

Temps mou et chaud

Beau temps, ciel ensoleillé parsemé de gros nuages blancs, c'est l'été. Grosse chaleur, temps mou et chaud pouvant tourner à l'orage, tout cela appelle la sieste et le repos... la paresse.

Benoît se traîne sur sa feuille, et se laisse aller au découragement. Puéril pour son âge, débordé par sa demande de tendresse, il réclame un soutien ; l'effort lui coûte tant, et il fait si bon dormir au soleil : comment suivre, n'être pas à la traîne, prendre confiance en soi ?

Il offre son cœur, mais qui lui redonnera une échine solide et la force de se battre avec lui-même ?

Les difficultés d'écrire

Mise en page
L'enfant s'éloigne des rives de l'enfance peu à peu, quitte ainsi progressivement le bord gauche de la feuille pour voguer plus seul mais tardivement. La notion de mise en page s'acquiert tard. Rompre les amarres, lâcher la sécurité familiale, faire moins de référence aux préceptes parentaux, supposent une première poussée d'autonomie, une volonté de s'organiser, une intégration des exigences éducatives.

L'enfant à l'aube de la prépuberté la marquera par un certain nombre de signes (début de personnalisation du graphisme, suppression de détails inutiles), l'amorce de marge le confirmera.

L'absence de marge, qui s'installe et qui persiste souvent tard, demeure une entrave ; point d'ancrage certes, référence, garantie de sécurité, mais aussi dépendance, qui d'un confort, qui d'un style de vie, qui d'une autorité. Le rêve d'indépendance, d'envol, a plus de mal à se concrétiser comme si une corde en retenait l'échappée.

La vitesse
L'évolution de l'enfant se signale par L'adoption et l'adhésion à un type de forme qui lui plaît, un type d'espacement, il doit jouer avec un notion de vitesse très difficile à déceler. Il se déplace dans la page avec les moyens du bord, à une vitesse qu'il contrôle plus ou moins qui le lance en avant, à des allures de flèche ou de bon grand-père, selon son temps, sa maturité, son pouvoir de différer ou non ses réactions.

Tout excès de vitesse ou de lenteur aura ses retombées et gênera l'adaptation à l'institution scolaire qui demande une « cadence », une régularité, un contrôle du tempérament. Le garçon sautille plus volontiers que la fille, marche par bonds successifs en avant, s'attarde peu sur cet exercice qui a plus un caractère nécessaire que plaisant.

Pour les besoins pratiques de la scription, le lent doit accélérer, l'impulsif se ralentir. Le premier passe trop de temps à dessiner ses formes, le second les néglige, la vision du « poteau » d'arrivée l'excite, ainsi il bâcle complètement son écriture qui joue mal son rôle de messagère ; le contenu est tronqué, peu lisible car déformé par hâte.

Les difficultés d'écrire
L'origine de la mauvaise écriture relève de causes très imbriquées, tout l'art des orfèvres en la matière étant déjà de les dénouer et de les traiter successivement. Il peut tout simplement s'agir d'enfants qui entendent ou voient mal {tests de la vision de l'audition), d'enfants qui ont du mal à se situer dans l'espace (notions de haut, de bas, de gauche, de droite, peu différenciées, d'enfants instables, etc.).

Nous laissons « hors sujet » les enfants qui n'ont pas un développement intellectuel suffisant. Les conséquences des difficultés repérées dans les tests vont se manifester différemment dans l'écriture, toujours défectueuse et maladroite dans son avancée, et souvent aussi par une mauvaise orthographe, une acquisition incomplète de la lecture dans certains cas.

S'ajoute à ces constats un comportement réactionnel à ces ennuis (enfant qui se ferme, se révolte, montre une grande inappétence scolaire, beaucoup d'inattention, des trous de mémoire). Cette incapacité à écrire suffisamment vite et bien, constatée par l'entourage souvent avec une insistance que l'enfant ressent mal, car il n'y peut rien, mais alerte en effet parents et maîtres, enfonce l'enfant dont les résultats scolaires ou les nécessités d'adaptation régressent.

-Marie écrit de la main gauche, faut-il y voir une raison sérieuse à son mauvais graphisme ?
Dans ce cas précis, il se peut qu'elle soit une gauchère contrariée ; son écriture aurait pu être meilleure si les tests avaient été faits à temps, elle devra probablement être rééduquée si elle est trop gênée et peu lisible.
A l'heure actuelle, en règle générale, les gauchers ne sont plus contrariés, si un enfant choisit de lui-même la main gauche il fera tout de la main gauche, son écriture ne se distinguera pas de celle d'un droitier sauf dans les traits de soulignement tracés de droite à gauche ainsi que dans les barres de t.

-Jean écrit des deux mains, les résultats peu
concluants de son écriture laissent perplexes. Que faire ?
Le fait d'être ambidextre correspond moins à une prouesse qu'à une difficulté. Si l'enfant se sert des deux mains, le choix doit être fait, avec son asservissement, pour l'une d'elles, en obtenant son adhésion et en fonction de la meilleure adresse droite ou gauche. Ce choix de la main doit être effectué avec fermeté et avec l'adhésion de l'enfant.

-Sophie, en raison de sa mauvaise orthographe, de sa lenteur et des anomalies de son écriture, a été consulter, et un diagnostic de dyslexie a été confirmé ; au 'en est-il de cette dyslexie, au nom un peu barbare ?

Sophie ânonne, et l'exercice de la lecture réclame pour elle des efforts non couronnés de succès. De fait, elle mélange les signes, prend un « b » pour un « d », place la deuxième syllabe avant la première (rifage au lieu de girafe), a du mal à combiner et à associer les sons au signe écrit qui leur correspond.

Toutes ces constatations résonnent sur récriture qui, elle aussi, bégaye et prend un aspect contraint, sans continuité, « haché » disent les spécialistes. Une très mauvaise mise en page ainsi que des ratures et des surchages orientent le diagnostic et doivent inciter les parents à consulter un orthophoniste.

Sérieusement traitée, rééduquée, la dyslexie régresse pour le bien-être et la meilleure insertion de l'enfant, l'écriture s'améliore, surtout si les mauvaises habitudes prises ne sont pas trop « enkystées ».

Exemples d'écriture

L'enfant nerveux

Pierre s'agite beaucoup en classe, le fait d'avoir à rester tranquille lui donne des fourmis dans les jambes, il bascule sur son banc, bricole son stylo, se mouche, fourgonne dans son cartable, réajuste sa mèche, parle sous son coude à son voisin. Des explications du maître, il attrape des bribes, les raccroche plus ou moins bien à ce qu'il sait déjà.

Ses bulletins fourmillent d'observations de ce genre : « Peut mieux faire, travail trop superficiel, n'écoute pas, ne donne pas sa mesure, insuffisant et irrégulier. »

Intermittent dans ses notes qui ont des « clochers » subits, des remontées vertigineuses, Pierre peut revendiquer des courbes en zigzag qui reproduisent ce qu'inspire son comportement à ceux qui l'observent. Comme les girouettes, il prend tous les vents, tourne la tête au moindre signe, à l'affût de ce qui pourrait réduire les longs temps d'immobilité.

Ainsi ouvre-t-il les hostilités par l'électricité qu'il met dans l'air, tel le papillon qui se brûle les ailes à la flamme, et qui n'a comme ressource que de continuer à les faire battre, avec le risque de fatigue et de sanction...

Souvent il excelle en gymnastique, est imbattable sur les marques de voiture, érudit dans ce qui le passionne - mais dans des sujets souvent hors scolaires -, complètement calme quand il pêche à la ligne, il y ajoute un repos qui lui permet de récupérer ; tout est surprise chez le nerveux.

Aucun signe dans l'écriture ne démentira ce comportement. Pierre, comme les essuie-glaces, s'appuie mal sur la ligne de droite et de gauche, escamote les formes, ne se pose qu'à peine sur le papier, de sa trace légère et mince, saccadée. Petit calibre, grand calibre, se suc¬cèdent en surprise, la liaison se fait mal, dans un geste qui court en avant mais en désordre.

La joyeuse

Dans la cour de récréation ; son royaume, elle papote et babille avec sa couronne d'amies, et tient à jour le feuilleton de la classe.

Ses rires en cascade, ses drôleries, ses joues rosés, rallient les suffrages. Qu'elle se moque gentiment des professeurs, qu'elle concocte ses mercredis, qu'elle agite les petites nouvelles, où les projets fantaisistes sont rois, elle attire en grappes joyeuses ses camarades, vit de toute cette affection donnée qui dilate son cœur et éclaire son visage de sourires.

Elle bouge, s'anime, croque la vie à belles dents, donne à voir un court métrage coloré qui se dévide bien, et montre des petites bonnes femmes aux mimiques complices, aux effusions spontanées, aux sourires frais.

La joyeuse babillarde, enfant heureuse, s'aime bien, en profite, le rend au centuple dans les saynètes quotidiennes où règne encore une insouciance, que l'approche de l'adolescence l'obligera à quitter...

L'enfant sage comme une image


L'enfant modèle et peu enjoué porte sur lui en bandoulière les bonnes notes de ses carnets, les appréciations louangeuses de ses maîtres, offre le tout à ses parents en gage de tendresse.

En classe, il jouit de la notoriété par ses 20 en conduite, ses places de premier ; son comportement réfléchi et presque angélique attendrit et dispose bien les professeurs.

Il bouge peu, ne se salit pas, a des livres couverts et des stylos qui marchent, ne redouble pas, porte sa sagesse avec fatalité.

Quelque chose en lui instaure une distance, son calme laisse un peu interdit ou désarçonné, son absence de bêtise ennuie un peu. Ses silences obéissants ne favorisent pas la complicité, ils anesthésient les échanges parfois.

Cette attitude modèle pose question : sagesse subie, sagesse choisie ? Pourquoi s'est-elle installée ? par besoin de sécurité, de confort, de tranquillité...

A cela l'enfant sage ne donne que des réponses par¬faites, des semi-confidences, sans frénésie, avant de retourner à sa retraite secrète, en gardant le sourire... il a la bénédiction des adultes qui s'habituent vite à ses bons résultats, son intention demeure bien de les satisfaire...

La coquette


Dans « coquette », phonétiquement le mot quête s'entend bien, et de fait, chez Virginie, elle s'effectue sans relâche et à l'égard de tous ceux dont elle accroche le regard.

Dans la catégorie des « proprettes », bien coiffée, fière de ses habits neufs, elle vit dans sa boîte, entourée de papier de soie.

Phobique de la tache, du faux pli, du trou, elle bouge peu. évite de se frotter aux autres, reste dans son neuf amidonné. Dans la classe, elle a ses « fans » pour ses cheveux blonds, ses jolis atours à la mode. Virginie s'étudie, jette des regards en biais parce qu'elle s'inquiète toujours de l'effet produit, renforce sa demande d'attention, de clins d'œil. de minauderie, de tête penchée, immobilise son sourire, jusqu'à l'attente du signal rassurant.

Elle ronronne sous les compliments, ne rentre jamais de plain-pied dans la conversation : elle a besoin de savoir d'abord qu'elle est belle. Quelle déconvenue, quel dépit (au point de lui serrer le cœur) quand rien ne se dit.
Est-ce la même petite fille qui tape du pied et fait des caprices que Ton nomme alors « la rage narcissique » ?

L'enfant caîd


Il y a façon et façon de jouer la comédie. Etienne la joue sonore, avec des mots qui claquent comme des drapeaux, et tient son état-major dans la cour de récréation.

Quelques performances en jeux de billes ou en chahut réussi l'ont fait émerger de l'anonymat de la classe, il a par 3à l'occasion de prendre de l'importance et de l'ascendant, non pas sur les meilleurs élèves, mais sur le groupe des moyens en général, ni traînards, ni chefs de file, à la recherche d'un peu d'évasion.

Il harponne l'attention de ses supporters, dans des narrations d'exploits, lit dans les yeux ronds de son auditoire la portée magique de ses récits, de ses « coups », de ses projets mirobolants, et leur admiration.

Éloquent, intarissable, il s'exalte, jouit peu à peu de son ascendant, s'octroie des privilèges de chef, soliloque sur lui-même, entretient une atmosphère de cour autour de lui. Il se perd de vue progressivement, oublie une réalité souvent médiocre scolairement parlant, et des difficultés évidentes qu'il nie pour se rassurer.

Faciles les contrôles, nulles les interrogations, tant il a su répondre vite et bien, ouverte la porte au passage dans la classe suivante, toute grande : ce sont autant de paroles lancées à la cantonade dans l'espoir de voir grandir son image et pâlir ses peurs.

Le superman a tout lu, tout fait, tout gagné, le dire fait béer ses camarades et l'installe chaque jour plus solidement sur son trône.

A sa botte se groupent ceux qui rêvent de sa piscine, de son voyage au Mexique, et qui mordent à ses tuyaux mirobolants. Mais ce dieu de la bande se désagrège sans elle, et se retrouve alors face à lui-même, souvent aussi vite descendu de son piédestal qu'il y était grimpé.

L'enfant fonceur


Moralement toujours sur une planche à roulettes, il fend ses journées avec d'éternels excès de vitesse, ne rêve que de records, de compétition, d'aventures exaltantes.

Intelligent, mais pas scolaire, voilà le refrain qui revient sans cesse dans ses carnets, avec l'inévitable « peut mieux faire », porteur d'espoir et de déconvenues pour des parents qui ne voient arriver les bonnes notes que de temps à autre, de façon irrégulière, et toutes diminuées pour fait d'indiscipline.

Frédéric a souvent une culture parallèle dans des secteurs bien précis, y développe pour lui ses connaissances, se constitue son petit musée, rassasie à fond sa curiosité, prend même au piège les adultes par d'insinueuses questions auxquelles ils répondent mal, ce qui déclenche son hilarité.

Talonné par l'impatience, il effeuille les heures de la journée au plus vite, sort tête en avant du collège, abandonne à leur ennui les graves professeurs qu'il a catalogués depuis longtemps comme « sans intérêt ».

Avec sa vitesse, il se débarrasse des contrariétés, en râlant beaucoup, frise l'agressivité de façon permanente, grouille d'idées, tourné le dos à ses peurs, en fonçant, réagit à ses difficultés par un comportement révolté.

Frédéric-fusée, Frédéric-passion qui laisse derrière lui le sillage blanc de ses pétarades qui éblouissent beaucoup ses inconditionnels.

L'enfant timide


Marc n'a qu'une idée : se faire oublier, se fondre avec les murs, se cacher derrière ses livres, s'écraser sur son cahier, à l'abri des regards.

11 est de ceux qui se perdent dans le paysage de la classe, tant par leur mutisme que par leur peu de gestes ou de paroles ; toute sortie de son monde signifie pour lui danger et ridicule.

Il ne manque donc jamais au devoir de discrétion, préfère être soupçonné de bêtise que de donner un avis. Interrogé, il se trompe, pâlit, s'alarme, sa voix s'étouffe, dans un débit haché, il sourit faiblement et comme poliment, il s'excuse de mal savoir, plutôt de mal dire.

Pourtant, il sait sur l'ongle ses leçons, perd la moitié du contenu sans raison, sa mémoire se trouve sous l'efet de la peur. Marc, traqué comme le lièvre, observe à la dérobée le maître, quête du regard son soutien, attend d'être deviné et compris dans son désarroi.

Planté tout droit et immobile, Marc se laisse couler verticalement dans un calme désespoir, transmet sa gêne à la classe, retourne à l'ombre sans mot dire. enseveli dans son immobilité qui le fige et l'isole de ses camarades.

Les signes de malaise abondent dans l'écriture, rompent le fil graphique, étrécissent l'espace entre les lettres, accroissent celui entre les mots, ficellent le mot dans un petit paquet qui ne peut se déployer, stoppent l'avance vers la droite.

Tout pensif et réfléchi, Marc se perd dans le blanc de la page, guette le danger, se fait le plus petit possible, appréhende la traversée quand il quittera son île...

L'enfant nonchalant malin


Premier averti de la maladie du professeur, de l'absence du surveillant, M. ne rate pas une occasion d'échapper à l'enfer scolaire.

Matthieu a rarement un devoir à faire ou une leçon à apprendre, sinueux dans ses explications concernant le cahier de textes, il joue la dérobade, et raboute tant bien que mal deux ou trois raisons floues qui lui permettront d'avoir vite la conscience tranquille face aux questions des parents.

Il ne rate pas une occasion d'échapper aux corvées, a pour cela des recettes variées, son pouvoir de séduction et son esprit malin n'étant pas des moindres, pour s'en débarrasser sur ses meilleurs camarades.

Il se glisse hors de la classe, en rêve ou en réalité, avec une hâte affamée de liberté et d'amusement, il avale jusqu'aux mots, finit peu ses phrases, son écriture se presse et fléchit en même temps, s'étire avec le faciès d'un écoulement de cours d'eau, pressé d'aborder l'estuaire et l'océan.

Pris en faute, Matthieu feint l'étonnement, donne avec intelligence deux ou trois coups de collier qui le « remettent en selle », par là il regagne avec quelques bonnes notes la confiance de l'entourage, cela lui vaut la tranquillité provisoire.

L'optimisme et l'intelligence lui donnent accès à la classe suivante le plus souvent, malgré un sillage trop souple, trop décontracté, un style « vacance » où la liberté et l'amusement prennent le pas sur la furie du travail. Mais de qui n'est-il pas l'ami ?

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