Exemples d'écriture

L'enfant nerveux

Pierre s'agite beaucoup en classe, le fait d'avoir à rester tranquille lui donne des fourmis dans les jambes, il bascule sur son banc, bricole son stylo, se mouche, fourgonne dans son cartable, réajuste sa mèche, parle sous son coude à son voisin. Des explications du maître, il attrape des bribes, les raccroche plus ou moins bien à ce qu'il sait déjà.

Ses bulletins fourmillent d'observations de ce genre : « Peut mieux faire, travail trop superficiel, n'écoute pas, ne donne pas sa mesure, insuffisant et irrégulier. »

Intermittent dans ses notes qui ont des « clochers » subits, des remontées vertigineuses, Pierre peut revendiquer des courbes en zigzag qui reproduisent ce qu'inspire son comportement à ceux qui l'observent. Comme les girouettes, il prend tous les vents, tourne la tête au moindre signe, à l'affût de ce qui pourrait réduire les longs temps d'immobilité.

Ainsi ouvre-t-il les hostilités par l'électricité qu'il met dans l'air, tel le papillon qui se brûle les ailes à la flamme, et qui n'a comme ressource que de continuer à les faire battre, avec le risque de fatigue et de sanction...

Souvent il excelle en gymnastique, est imbattable sur les marques de voiture, érudit dans ce qui le passionne - mais dans des sujets souvent hors scolaires -, complètement calme quand il pêche à la ligne, il y ajoute un repos qui lui permet de récupérer ; tout est surprise chez le nerveux.

Aucun signe dans l'écriture ne démentira ce comportement. Pierre, comme les essuie-glaces, s'appuie mal sur la ligne de droite et de gauche, escamote les formes, ne se pose qu'à peine sur le papier, de sa trace légère et mince, saccadée. Petit calibre, grand calibre, se suc¬cèdent en surprise, la liaison se fait mal, dans un geste qui court en avant mais en désordre.

La joyeuse

Dans la cour de récréation ; son royaume, elle papote et babille avec sa couronne d'amies, et tient à jour le feuilleton de la classe.

Ses rires en cascade, ses drôleries, ses joues rosés, rallient les suffrages. Qu'elle se moque gentiment des professeurs, qu'elle concocte ses mercredis, qu'elle agite les petites nouvelles, où les projets fantaisistes sont rois, elle attire en grappes joyeuses ses camarades, vit de toute cette affection donnée qui dilate son cœur et éclaire son visage de sourires.

Elle bouge, s'anime, croque la vie à belles dents, donne à voir un court métrage coloré qui se dévide bien, et montre des petites bonnes femmes aux mimiques complices, aux effusions spontanées, aux sourires frais.

La joyeuse babillarde, enfant heureuse, s'aime bien, en profite, le rend au centuple dans les saynètes quotidiennes où règne encore une insouciance, que l'approche de l'adolescence l'obligera à quitter...

L'enfant sage comme une image


L'enfant modèle et peu enjoué porte sur lui en bandoulière les bonnes notes de ses carnets, les appréciations louangeuses de ses maîtres, offre le tout à ses parents en gage de tendresse.

En classe, il jouit de la notoriété par ses 20 en conduite, ses places de premier ; son comportement réfléchi et presque angélique attendrit et dispose bien les professeurs.

Il bouge peu, ne se salit pas, a des livres couverts et des stylos qui marchent, ne redouble pas, porte sa sagesse avec fatalité.

Quelque chose en lui instaure une distance, son calme laisse un peu interdit ou désarçonné, son absence de bêtise ennuie un peu. Ses silences obéissants ne favorisent pas la complicité, ils anesthésient les échanges parfois.

Cette attitude modèle pose question : sagesse subie, sagesse choisie ? Pourquoi s'est-elle installée ? par besoin de sécurité, de confort, de tranquillité...

A cela l'enfant sage ne donne que des réponses par¬faites, des semi-confidences, sans frénésie, avant de retourner à sa retraite secrète, en gardant le sourire... il a la bénédiction des adultes qui s'habituent vite à ses bons résultats, son intention demeure bien de les satisfaire...

La coquette


Dans « coquette », phonétiquement le mot quête s'entend bien, et de fait, chez Virginie, elle s'effectue sans relâche et à l'égard de tous ceux dont elle accroche le regard.

Dans la catégorie des « proprettes », bien coiffée, fière de ses habits neufs, elle vit dans sa boîte, entourée de papier de soie.

Phobique de la tache, du faux pli, du trou, elle bouge peu. évite de se frotter aux autres, reste dans son neuf amidonné. Dans la classe, elle a ses « fans » pour ses cheveux blonds, ses jolis atours à la mode. Virginie s'étudie, jette des regards en biais parce qu'elle s'inquiète toujours de l'effet produit, renforce sa demande d'attention, de clins d'œil. de minauderie, de tête penchée, immobilise son sourire, jusqu'à l'attente du signal rassurant.

Elle ronronne sous les compliments, ne rentre jamais de plain-pied dans la conversation : elle a besoin de savoir d'abord qu'elle est belle. Quelle déconvenue, quel dépit (au point de lui serrer le cœur) quand rien ne se dit.
Est-ce la même petite fille qui tape du pied et fait des caprices que Ton nomme alors « la rage narcissique » ?

L'enfant caîd


Il y a façon et façon de jouer la comédie. Etienne la joue sonore, avec des mots qui claquent comme des drapeaux, et tient son état-major dans la cour de récréation.

Quelques performances en jeux de billes ou en chahut réussi l'ont fait émerger de l'anonymat de la classe, il a par 3à l'occasion de prendre de l'importance et de l'ascendant, non pas sur les meilleurs élèves, mais sur le groupe des moyens en général, ni traînards, ni chefs de file, à la recherche d'un peu d'évasion.

Il harponne l'attention de ses supporters, dans des narrations d'exploits, lit dans les yeux ronds de son auditoire la portée magique de ses récits, de ses « coups », de ses projets mirobolants, et leur admiration.

Éloquent, intarissable, il s'exalte, jouit peu à peu de son ascendant, s'octroie des privilèges de chef, soliloque sur lui-même, entretient une atmosphère de cour autour de lui. Il se perd de vue progressivement, oublie une réalité souvent médiocre scolairement parlant, et des difficultés évidentes qu'il nie pour se rassurer.

Faciles les contrôles, nulles les interrogations, tant il a su répondre vite et bien, ouverte la porte au passage dans la classe suivante, toute grande : ce sont autant de paroles lancées à la cantonade dans l'espoir de voir grandir son image et pâlir ses peurs.

Le superman a tout lu, tout fait, tout gagné, le dire fait béer ses camarades et l'installe chaque jour plus solidement sur son trône.

A sa botte se groupent ceux qui rêvent de sa piscine, de son voyage au Mexique, et qui mordent à ses tuyaux mirobolants. Mais ce dieu de la bande se désagrège sans elle, et se retrouve alors face à lui-même, souvent aussi vite descendu de son piédestal qu'il y était grimpé.

L'enfant fonceur


Moralement toujours sur une planche à roulettes, il fend ses journées avec d'éternels excès de vitesse, ne rêve que de records, de compétition, d'aventures exaltantes.

Intelligent, mais pas scolaire, voilà le refrain qui revient sans cesse dans ses carnets, avec l'inévitable « peut mieux faire », porteur d'espoir et de déconvenues pour des parents qui ne voient arriver les bonnes notes que de temps à autre, de façon irrégulière, et toutes diminuées pour fait d'indiscipline.

Frédéric a souvent une culture parallèle dans des secteurs bien précis, y développe pour lui ses connaissances, se constitue son petit musée, rassasie à fond sa curiosité, prend même au piège les adultes par d'insinueuses questions auxquelles ils répondent mal, ce qui déclenche son hilarité.

Talonné par l'impatience, il effeuille les heures de la journée au plus vite, sort tête en avant du collège, abandonne à leur ennui les graves professeurs qu'il a catalogués depuis longtemps comme « sans intérêt ».

Avec sa vitesse, il se débarrasse des contrariétés, en râlant beaucoup, frise l'agressivité de façon permanente, grouille d'idées, tourné le dos à ses peurs, en fonçant, réagit à ses difficultés par un comportement révolté.

Frédéric-fusée, Frédéric-passion qui laisse derrière lui le sillage blanc de ses pétarades qui éblouissent beaucoup ses inconditionnels.

L'enfant timide


Marc n'a qu'une idée : se faire oublier, se fondre avec les murs, se cacher derrière ses livres, s'écraser sur son cahier, à l'abri des regards.

11 est de ceux qui se perdent dans le paysage de la classe, tant par leur mutisme que par leur peu de gestes ou de paroles ; toute sortie de son monde signifie pour lui danger et ridicule.

Il ne manque donc jamais au devoir de discrétion, préfère être soupçonné de bêtise que de donner un avis. Interrogé, il se trompe, pâlit, s'alarme, sa voix s'étouffe, dans un débit haché, il sourit faiblement et comme poliment, il s'excuse de mal savoir, plutôt de mal dire.

Pourtant, il sait sur l'ongle ses leçons, perd la moitié du contenu sans raison, sa mémoire se trouve sous l'efet de la peur. Marc, traqué comme le lièvre, observe à la dérobée le maître, quête du regard son soutien, attend d'être deviné et compris dans son désarroi.

Planté tout droit et immobile, Marc se laisse couler verticalement dans un calme désespoir, transmet sa gêne à la classe, retourne à l'ombre sans mot dire. enseveli dans son immobilité qui le fige et l'isole de ses camarades.

Les signes de malaise abondent dans l'écriture, rompent le fil graphique, étrécissent l'espace entre les lettres, accroissent celui entre les mots, ficellent le mot dans un petit paquet qui ne peut se déployer, stoppent l'avance vers la droite.

Tout pensif et réfléchi, Marc se perd dans le blanc de la page, guette le danger, se fait le plus petit possible, appréhende la traversée quand il quittera son île...

L'enfant nonchalant malin


Premier averti de la maladie du professeur, de l'absence du surveillant, M. ne rate pas une occasion d'échapper à l'enfer scolaire.

Matthieu a rarement un devoir à faire ou une leçon à apprendre, sinueux dans ses explications concernant le cahier de textes, il joue la dérobade, et raboute tant bien que mal deux ou trois raisons floues qui lui permettront d'avoir vite la conscience tranquille face aux questions des parents.

Il ne rate pas une occasion d'échapper aux corvées, a pour cela des recettes variées, son pouvoir de séduction et son esprit malin n'étant pas des moindres, pour s'en débarrasser sur ses meilleurs camarades.

Il se glisse hors de la classe, en rêve ou en réalité, avec une hâte affamée de liberté et d'amusement, il avale jusqu'aux mots, finit peu ses phrases, son écriture se presse et fléchit en même temps, s'étire avec le faciès d'un écoulement de cours d'eau, pressé d'aborder l'estuaire et l'océan.

Pris en faute, Matthieu feint l'étonnement, donne avec intelligence deux ou trois coups de collier qui le « remettent en selle », par là il regagne avec quelques bonnes notes la confiance de l'entourage, cela lui vaut la tranquillité provisoire.

L'optimisme et l'intelligence lui donnent accès à la classe suivante le plus souvent, malgré un sillage trop souple, trop décontracté, un style « vacance » où la liberté et l'amusement prennent le pas sur la furie du travail. Mais de qui n'est-il pas l'ami ?

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